Le Divin ne s'offre qu'à ceux qui s'offrent eux-mêmes à la Divinité.
Sri Aurobindo


Toutes choses sont des déploiements de la connaissance divine.
Vishnou Pourâna, 2.12.39


Toute la vie est un yoga.
Sri Aurobindo, La Synthèse des yogas - I.




samedi 21 novembre 2009

QUI ETAIT SATPREM ?



SATPREM
Marin et breton, bien que né à Paris en 1923. Résistant il est arrêté par la Gestapo à l’âge de vingt ans et passe un an et demi en camp de concentration. Dévasté, il se retrouve en Haute-Egypte, puis en Inde au gouvernement de Pondichéry. Alors il rencontre Sri Aurobindo et Mère. Bouleversé par leur Message : « L’homme est un être de transition », il démissionne des colonies et part à l’aventure en Guyane où il passe une année en pleine forêt vierge, puis au Brésil, en Afrique…
En 1953, à l’âge de trente ans, il revient définitivement en Inde auprès de Celle qui cherchait le secret du passage à la « prochaine espèce », Mère, dont il deviendra le confident et le témoin pendant près de vingt ans. Il consacre un premier essai à Sri Aurobindo et l’Aventure de la Conscience. A l’âge de cinquante ans, il rassemble et publie le fabuleux document du cheminement de Mère, l’Agenda en 13 volumes, puis écrit une trilogie : le Matérialisme divin, l’Espèce nouvelle, la Mutation de la mort et un dernier essai : le Mental des Cellules.
A cinquante-neuf ans, il se retire complètement pour se jeter dans la dernière Aventure : la recherche du « grand passage » évolutif vers ce qui suivra l’Homme. Sa dernière entrevue, en 1984, a donné lieu à La vie sans mort. Il écrit La révolte de la Terre en 1990. La vie de cet écrivain poète, engagé à corps et à cœur dans la révolte de la Terre, pris fin un 09 avril 2007. Sa compagne Sujata le suivi quinze jours plus tard. Il nous a laissé dans les 24 volumes de Carnets d’une apocalypse le témoignage de son engagement à la recherche du « grand passage ».

Satprem au Pavillon de FRANCE  (biographie très complète) 
Avec La révolte de la Terre,  Satprem part sur la piste
du SECRET DU VÉDA de Sri Aurobindo




       Interview de SATPREM

Vidéo L'Homme après l'Homme (extrait)
           Version audio complète (60')

 
 "Il faut comprendre, où est le phénomène ?"
Très rare interview (de Jacques Chancel) avec Satprem,
"L'aventurier de l'intérieur.
" Satprem parle de "Mère", Sri Aurobindo et Auroville.

SATPREM ET L'AGENDA DE Mère
Voici un entretient mené par Jean Biès avec Satprem, extrait de son ouvrage "Voies de Sages" qui nous donne un aperçu plus complet de qui était Satprem: 

Cet entretien entre Jean Biès et Satprem a eu lieu à Pondichéry (Inde) le 21 juillet 1973. Satprem travaillait à ce moment là à une traduction en français de Savitri de Shrî Auro­bindo.
Quand on l'interroge sur sa vie, Satprem avoue sa difficulté à remonter vers le passé pour parler d'une existence si ancienne qu'elle lui semble antérieure à celle-ci, ou même formée de plusieurs exis­tences superposées. «J'ai vécu à toute allure, m'écrivait-il, toutes sortes de vies, ou plutôt, répété en quelques années plusieurs cycles anciens, plusieurs tendances ou plusieurs êtres que j'étais, afin d'arri­ver au point zéro de toutes ces existences, là où il faut culbuter dans autre chose, radicalement, ou laisser sa peau... »
Alors que, d'ordinaire, les êtres font un seul genre d'expériences dans leur vie, fût-ce sous divers aspects, Satprem a voulu les siennes aussi différentes que possible, et se mettre ainsi à bout de ressources.
En voici le rapide profil.
L'appel du grand large
Il naît à Paris en 1923, vit en Bretagne, d'où ses parents sont origi­naires : sa mère, l'être le plus remarquable après Mère; un roc breton, jailli de la lande comme un ajonc sauvage ; son père, ingénieur chimiste, une espèce de saint, prisonnier de son Eglise. Une famille de huit enfants.
Déjà en quête d'autre chose, il ne reste nulle part longtemps, se fait renvoyer des collèges, des pensions, y compris celle des jésuites. L'aventure, voilà ce qu'il a dans le sang, depuis qu'il gréait son petit canot de pêcheur avec une toile de tente pour traverser la baie... Il vou­lait aller de l'autre côté – l'autre côté de tout. Il ne se sent heureux qu'au large, où l'on s'immensifie, où l'on disparaît sans disparaître, où l'on est partout à la fois avec la risée, le vent et les mouettes. Revenir à terre, c'est rentrer en prison.
Il prépare l'École coloniale. S'aperçoit vite que Vasco de Gama et Champollion représentent quelque chose de périmé : il n'y a plus rien à découvrir. Si l'on ne sait plus à quoi s'en prendre, il ne reste plus qu'à s'en prendre à soi-même.
Arrêté à vingt ans par la Gestapo – en un temps où, à l'autre extré­mité de la terre, Shri Aurobindo déclarait :
« La victoire du nazisme serait la destruction de mon travail » –, il est déporté un an et demi à Buchenwald. Une redoutable mise à nu. Il était entré dans la Résistance pour résister à un vieil ordre sans réalité, pour se rebeller contre un monde d'esclaves. « Libérer la France » correspondait pour lui à un acte d'une tout autre portée que politique ou militaire. C'était une pre­mière manifestation de cette aventure qu'il cherchait : le plaisir d'être hors la loi, de donner un premier coup de pied contre les murs de l'asphyxie.
Il voyage en Égypte, occupe à Pondichéry le poste de directeur du Service de l'information, dont il démissionne en 1949. Il passe une année dans la forêt vierge, en Guyane, manque de devenir millionnaire au Brésil, s'installe en Afrique, cherchant partout la «vraie aventure », jusqu'au jour où il découvre que celle-ci est à l'intérieur. Il retourne en Inde, devient sannyasin, moine errant, pratique le tantrisme, se livre à toutes sortes d'expériences dont on trouve la transposition dans son livre Par le corps de la terre. Mais c'est toujours la même insatis­faction.
Toutes voiles vers le futur
En 1953, Satprem a trente ans. Il devient le secrétaire et le disciple de Mère, dans l’ashram de Pondichéry. L'aventure à corps perdu... Tout à découvrir... Plus de cartes ni de compas ; plus de « libération ». Mais un formidable secret à extirper de la matière. Un autre continent à découvrir... La perception de quelque chose qui naît et ressemble à l'homme nouveau.
Pendant vingt ans, jusqu'à la disparition physique de Mère, Satprem ne cessera de travailler à ses côtés. Il note ses observations, ses expé­riences, ses confidences, enregistre ses conversations, accumule une énorme réserve de matériaux : quelque six mille pages de texte, qui seront publiées sous le titre Agenda, « le récit du grand voyage de Mère vers l'espèce nouvelle », relatant pas à pas son exploration dans la conscience du corps et sa découverte d'un « mental cellulaire » capable de réformer les lois de l'espèce. C'est désormais à la publica­tion de ces « Carnets de laboratoire » que Satprem consacre tout son temps et tous ses efforts.
Cela s'appelle l'aurore
La métaphysique-fiction n'existe qu'au niveau du seul mental argu­mentant et divisant, mais ne se dépassant pas lui-même, et d'où sont nées les cités idéales, vouées à l'échec, de Platon à Campanella, et des Icaries à l'eschatologie marxiste. Ce rêve que nous avons fait et nous obstinons à faire : connaître l'état de bonheur parfait, ce rêve que nous croyons capter au faîte de quelques réussites ou griseries passagères, Shri Aurobindo est venu nous dire qu'il était réalisable sur cette terre même, mais n'avait rien à voir avec ce que nous imaginons; il ne s'accomplirait qu'à l'aide du Supramental et par suite d'une totale révolution psychologique. Il pouvait déclarer, pour l'avoir expéri­menté : « Je sais avec une certitude absolue que le Supramental est une vérité, et que son avènement est inévitable par la nature même des choses. »
Il n'est pas utile d'insister sur l'échec des remèdes mécaniques, politiques, sociaux, sur l'échec des régimes, des réformes, des révo­lutions, comme sur celui des philosophies et des religions. De ce côté-là, nuit plénière. « Les anciens maux réapparaissent sous une forme nouvelle... » Il faut donc changer la nature humaine. Et celle-ci peut l'être. Il y a, au fond de l'insoluble, la possibilité d'en sortir... Telle est bien la meilleure des «bonnes nouvelles ». Et c'est peut-être ici, à Pondichéry, que tout a commencé de commencer... N'est-il pas curieux de songer que l'ashram d'Aurobindo fut édifié à l'emplacement même où le sage-voyant Agastya avait installé le sien, voici sept mille ans, et où il fut pour la première fois question du « Soleil de Vérité sous l'infini de la montagne », de la Lumière cachée au fond de l'obscure Matière?
C'est non loin de là, en sa maison de Nandanam, que Satprem m'est apparu, dans sa forme menue, ascétique, semblant fragile comme un souffle, mais un souffle qui serait rempli de toute l'énergie du monde; avec son regard d'une bleuité océane, perçant de sa fixité l'apparence, et sa voix douce, égale, tranquille, pétrie des inflexions de Mère. Un de ces êtres qui se sont tout entiers sacrifiés à ce qui était pour eux plus qu'une cause ou un idéal : la force impérieuse du destin, une présence dévorante plus qu'humaine; qui s'y sont laissés brûler, et en sont sortis pacifiés.
La lointaine rumeur de la campagne indienne nous envoie ses derniers tintements d'âmes. Rentrent aux villages les charmantes vachettes, « blanches, dit un texte, comme les fibres de la tige du nymphéa », les enfants « au teint de pousses de manguier », qui nous regardent à la dérobée, et les minces paysans tamouls, dont seuls le tur­ban et le pagne blancs attestent la présence dans l'ombre. Tandis que nous parlons à bâtons rompus, le soir est descendu autour des huttes, la nuit est tombée des palmes, cette nuit qui, selon la parole de Mère, « se fait plus profonde à mesure que l'aurore approche ».
JEAN BiÈS : Votre course aux expériences, aux aventures, vous fait ressembler à un Rimbaud qui aurait réussi ce que l'autre n'avait qu'espéré. Mais pourquoi une telle course ?
SATPREM : Ma question lancinante, pendant des années, c'était : Qu'est-ce qui reste quand il n'y a plus rien ? Quand on a perdu tous ses trucs, tout son atavisme, toute son éducation, sa littérature et ses fanfares, qu'est-ce qui reste là-dessous? Quand il n'y a plus d'amis, plus de famille, plus de pays, qu'est-ce qui reste là-dedans ? Quelle est la chose qui est vraiment moi sans tout ce qu'on a ajouté dessus d'arrière-grands-pères en pères et d'écoles en écoles – sans livres, sans « je sais », sans recours. Là où c'est nu, vide, pur. Est-ce qu'il y a quel­que chose encore qui n'est plus l'addition de chromosomes et de curri­culum vitae ? -Ou rien du tout? C'était ma question. Et je me suis mis à l'épreuve d'une façon forcenée, si j'ose dire. Quand je suis parti dans la forêt vierge (une merveilleuse expérience), et que j'ai commencé à m'apercevoir que je devenais un bourgeois de la forêt vierge, j'ai plié bagage en huit jours et suis parti pour le Brésil, laissant derrière moi un monde que j'aimais tant. Quand tout l'argent et les mines de mica me sont venus au Brésil, avec un grand voilier qu'on m'offrait, une île merveilleuse, bref, le piège de la grande « réussite », j'ai tout laissé tomber et j'ai pris un ticket d'entrepont pour l'Afrique, sans un sou. Jamais je n'ai voulu m'arrêter nulle part, à aucune expérience, aucune réussite, aucune « réalisation » ; je voulais trouver l'absolument absolu. Ce qui est plein, et pour toujours.
J.B. : Cet absolument absolu, était-ce Dieu ?
S. : Je me fichais de « Dieu » ou de quoi que ce soit, j'étais aussi antireligieux que possible, mais je voulais le « ça » de mon être, qui est comme la suprême possibilité et la suprême aventure de l'homme. Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce que ça peut? Vers quoi ça va? Quel est le mystère là-dedans, et s'il n'y a pas de mystère, alors, fichons cette vie en l'air !... J'ai vécu comme en sursis de suicide. Une
sorte de pari avec moi-même ou avec « quelque chose », dans moi-même, que je ne connaissais pas et qui était comme la clef de l'homme – sa clef matérielle, entendons bien; parce que le « spirituel », je m'en moquais tout à fait. Si « spirituel » il y avait, je voulais le toucher dans mon corps, dans ma vie de chaque seconde.
J.B. : Mère vous a donné la -clef ?
S. : Oui, c'est elle, quand, au bout de toutes ces galipettes, je me suis trouvé acculé à la dernière et suprême aventure : « L'homme n'est pas encore, c'est une espèce à venir. » Ah ! comme j'ai compris Mère : « Ce n'est pas adorer qu'il faut, c'est devenir. C'est la paresse de deve­nir qui fait qu'on adore !... » Je voulais tellement trouver la clef de cette espèce misérable, ridicule, futile, et pourtant, si poignante. Voilà. J'ai promené mon feu jusqu'à ce qu'il m'amène à la porte de l'Autre Chose : l'aventure de l'espèce nouvelle qui est vraiment l'aventure de l'homme-pas-encore. Je me suis battu contre cet âshram pendant des années, parce que je croyais encore que c'était une espèce d'Église exotique, jusqu'au jour où Mère m'a démoli la « spiritualité » avec la matérialité », pour me faire toucher, découvrir ce que j'ai appelé le matérialisme divin », lequel n'a rien à voir avec nos deux extrêmes enfantins du pur « Esprit » et de la pure « Matière ». Nous ne connais­sons rien de l'un, ni de l'autre surtout. Nous connaîtrons et vivrons la matière vraiment lorsque nous aurons découvert ce qu'elle est vrai­ment, dans notre corps, c'est-à-dire quand nous serons vraiment sortis de la prison mentale du faux petit homme que nous sommes, pour émerger dans la matière directe, telle qu'elle est, sans revêtement men­tal et sans électronique de remplacement...
Je m'étonnais toujours, quand j'étais petit, que l'on ne puisse pas être immédiatement partout, être dans tous les corps et dans tous les lieux. J'étais perpétuellement en prison, et c'était cette prison que je voulais casser à tout prix par mes « expériences ». Alors, quand Mère m'a parlé « d'espèce nouvelle », et comment on y allait, et le mystère du chemin et de l'impossible cheminement, toutes les forêts vierges du monde et toutes les aventures du monde m'ont paru pâles et vaines devant cette aventure-là !... Mère, c'est la plus grande aventurière du monde. Je continue avec Elle. Voilà... C'est la seule aventure possible; sinon, tirons l'échelle !
Notez bien que ça ne m'intéresse pas pour moi : ça m'intéresse pour tous mes frères, parce que cette histoire humaine a assez douloureuse­ment duré. Ils ont trouvé des ondes longues, des ondes courtes, des microscopes, des télescopes... Si l'on trouvait l'homme vraiment? Et le pouvoir de l'homme ferait qu'il pourrait être sans tout cet attirail artificiel, voler sans avion, communiquer sans téléphone, voir partout sans télescope ni télévision, être partout et avoir la joie de tout ce qui est. La vraie vie, enfin. La vraie raison du pourquoi l'on est dans cette peau ; pas la raison « spirituelle », la raison matérielle. Et, au bout du compte, on s'apercevra peut-être que l'esprit, c'est la matière même. Il faut expérimenter. Il faut voir. Il n'y a rien à croire, il y a tout à voir. Alors, toutes nos histoires spiri­tualistes et matérialistes s'évanouiront comme les balbutiements d'un âge qui appartenait seulement au singe supérieur... Mère m'a fait sauter du passé de la terre et de l'anthropoïde nostalgique à l'avenir de la terre et à l'homme enfin doué de tous ses sens et d'un certain nombre d'autres, inconnus, qui feront apparaître, un peu plus tard, nos petits hommes men­taux tels des têtards dans leur bocal. Sans Mère, je me serais suicidé, un jour, dans la forêt vierge ; ou bien, je me serais noyé sur quelque cotre bre­ton, dans une de ces vieilles aventures qui n'inventent rien.
J.B. : Mère et Shri Aurobindo se sont voulus les pionniers d'un nouveau monde. Qu'est-ce que ce nouveau monde ? Quel travail accomplir pour le réaliser?
S. : Il faut partir du B-A, BA. Que faire –avec quoi? Avec la matière que nous sommes. Mère et Shri Aurobindo ne sont pas venus faire de la philo­sophie, n'est-ce pas, ils sont venus faire une œuvre dans la matière; ils sont venus trouver le passage vers ce qui sera la prochaine espèce... On ne va pas rester éternellement des « petits hommes », ni même des « grands hommes »... Tous nos moyens mentaux font faillite, on le voit bien... Or, l'évolution ne se déroule pas dans le mental, elle se déroule dans la matière.
J.B. : Mais qu'est-ce que cette matière?
S. : Les savants eux-mêmes ne le savent pas très bien. Nous sommes une matière revêtue de toutes sortes de couches minérales, végétales, ani­males, mentales surtout. La matière est quelque chose qui est caché là-dessous. Ce n'est pas ce que nous voyons ni ce que nos instruments peuvent voir, qui sont seulement le prolongement de notre propre intellect. La matière, c'est le grand mystère, c'est le premier et le dernier de tous les mystères... On peut dire, pour simplifier, que le travail de Mère et de Shri Aurobindo consiste, plutôt que de faire un trou dans la coque qui nous enferme, et partir dans la conscience soi-disant cosmique, lumineuse, libérée (qui n'est libérée de rien du tout ; on nage là-haut, et puis, notre corps continue d'être ce qu'il était, il vieillit et il meurt, c'est toujours la même vieille bête qui est là), à chercher le chemin inverse : non plus monter mais descendre, descendre vers cette matière, c'est-à-dire, traverser toutes les couches de consciences et d'habitudes, qui revêtent ce quelque chose de primordial qui est la matière vraie. Ils ont trouvé toutes ces couches, et, tout au fond, une autre conscience, une conscience cellulaire.
J.B. : Soit, mais qu'est-ce que cette conscience cellulaire?
S. : C'est une conscience libre comme on est libre dans les libertés d'en haut, matériellement sans loi, sans maladie, sans mort... Un fantastique mystère ! Toutes les libertés de là-haut, on les retrouve dans la matière, quand elle est dépouillée de tous ses revêtements : une matière continue, ayant une communication immédiate avec tout. La mort, la maladie ne sont que le produit de tous les revêtements empilés sur cette matière. Au-dessous des lois implacables, des lois de notre mental, de notre cage, on découvre tout au fond la liberté de la matière, une conscience infiniment souple, qui peut se recréer à chaque instant, se transformer, quand elle veut, comme elle veut. Cela signifie que si cette conscience était réelle­ment dégagée dans un corps humain, elle pourrait transformer la matière de ce corps, la modeler, la doter de qualités et de pouvoirs insoupçonnés. C'est cela, la matière de l'espèce nouvelle... Le premier levier a toujours été dans la matière ; c'est elle qui doit opérer sa propre transformation, la matière pure, non recouverte de toutes les couches qui ont servi à l'enfer­mer, à la limiter, à l'individualiser, à la solidifier.
J.B. : Le travail consiste donc à retrouver la liberté de la matière dans un corps nouveau, qui serait élaboré parla conscience cellulaire ?
S. : Il s'agit de dégager cette conscience cellulaire; c'est là qu'est le miracle possible... C'est toute l'histoire de Mère et de Shri Aurobindo. Pas seulement un travail sur eux-mêmes, ce qui est encore une apparence ; car on s'imagine qu'on est séparé en individus bien distincts, alors que rien n'est séparé, que tout communique... Ils se sont efforcés d'atteindre expé­rimentalement l'assise première, la matière première du monde en traver­sant toute la conscience terrestre. Ils ont taillé le chemin dans la conscience terrestre, pour arriver à cette conscience fondamentale ; ils ont brisé les couches... C'était un yoga impensable.
J.B. : Y a-t-il un résultat actuellement visible de leur travail ?
S. : Le résultat est parfaitement visible, n'est-ce pas ... Ils ont brisé toutes ces couches ... Et ça commence à se briser partout. On le voit bien... Toutes les vieilles structures s'effondrent et, partout, quelque chose d'autre se met à fuser, à jaillir par tous les pores de la terre. Il se passe des choses qu’on n'explique pas ; ça prend des allures extravagantes selon les consciences, selon les pays ; mais il y a partout quelque chose qui est en train de traverser la vieille croûte terrestre. C'est ce que nous sommes en train de vivre : pas seulement la démolition de l'ancien, mais quelque chose de très nouveau qui est en train de naître, une conscience nouvelle traversant les débris des vieilles structures. Cela se traduit par toutes sortes d'aberrations, des drogues, des Églises, des sectes... Mais une perception nouvelle essaie de frayer son chemin. Tout le monde attend autre chose, sous une forme ou sous une autre.
J.B. : Mais quelles sont les méthodes que nous avons à notre disposi­tion pour traverser les couches profondes de notre individu ?... Il doit exister un moyen pratique à utiliser quotidiennement ?
S. : La transparence...
J.B. : Comment atteindre cette transparence ?
S. : Il faut un feu de besoin, quelque part dans le coeur. Le besoin a tou­jours été la clé, partout et toujours. On ne devient que selon son besoin. Quand une espèce est en train de mourir, il faut un autre oxygène, quelque chose d'autre qui fera qu'elle survivra... Il s'agit d'un besoin d'être, besoin d'une réalité concrète au milieu de la ruée des choses, d'une per­manence légère au milieu de leur épaisseur, d'une lumière douce au milieu de l'obscurité... Ce besoin est un feu qui nettoie, purifie... Plus c'est purifié, plus ça devient limpide... Quand on est limpide au-dedans, tout est limpide au-dehors ; le chemin se déroule tout seul.
J.B. : Vous savez bien que l'Amour n'est pas aimé.
S. : On peut l'appeler l'Amour, ou de plusieurs autres façons. C'est quelque chose qui brule. Dès qu'on met des qualificatifs dessus, ça s'humanise, ça devient mental ou affectif, alors que c'est beaucoup plus essentiel que tout cela.
J.B. : C'est l'Amour au-delà du moi...
S. : Ou en plein dedans ; c'est le centre même ! C'est ce qui fait qu'on tient debout sur deux pattes !...
J.B. : Vous considérez que les différentes religions sont destinées, à plus ou moins longue échéance, à disparaître de la surface de la terre... Cela entre aussi dans le processus d'évolution ?
S. : Tout ce qui est essentiel est éternel; c'est ce qui est de l'essence de chaque être, de chaque groupe, de chaque nation, de chaque continent. Cela reste. Ce sont les formes qui meurent. Qu'elles soient chrétiennes, hindoues, marxistes, maoïstes, que sais-je ? Tout ce qui est vrai, essentiel, dans chacune de ces choses, reste. Les formes sont des moyens, des bâtons de route pour permettre aux hommes d'avancer. Ils se servent un temps d'un bâton, puis d'un autre. Ce sont des philo­sophies, des religions successives, pour avancer. Si l'on commence à faire un dieu du bâton de route, on se trompe. C'est un instrument pro­visoire pour arriver à ce qui est réel.
J.B. : Une question importante est celle du guru... 
S. : Le guru est dans le coeur de l'homme. 
J.B. : Il faut d'abord réussir à l'atteindre.
S. : Il faut le chercher, il faut en avoir besoin. C'est toujours la même chose : s'il n'y a pas de besoin, il n'y aura rien du tout.
J.B. : Vous pensez qu'on peut cheminer seul dans l'Occident actuel, tel qu'il est?
S. : Bien entendu ! On peut cheminer seul... Et d'abord, on n'est pas seul!
J.B. : On vous dira que l'occasion est rare de rencontrer un maître.
S. : Ce n'est pas nécessaire de rencontrer un maître, ni qui que ce soit. Il n'y a qu'à promener dans sa vie son besoin d'être, son feu d'être. Ce besoin, c'est le guru en personne, c'est le Divin au fond de soi, c'est la Lumière même au fond de soi-même. Qu'a-t-on besoin d'aller écouter la bonne parole de celui-ci ou de celui-là? Si l'on a l'occasion de ren­contrer des êtres ou des livres qui ont une puissance, une réalité pour nous, qui nous ouvrent une fenêtre un moment, c'est parfait. Mais pourquoi s'arrêter éternellement à une fenêtre particulière, à un homme particulier? Ces êtres et ces livres sont simplement des prétextes pour déclencher en nous l'aspiration vers le réel. Mais si ce feu n'est pas allumé dedans, vous pouvez déverser des tonnes de bonne parole, ça ne servira à rien. Vous pouvez amener des kilomètres de Christ, ça ne vous changera pas un homme. Il faut que quelque chose, dedans, ait besoin. Si la fleur pousse et s'épanouit, c'est qu'elle cherche le soleil; c'est aussi simple que ça. Si l'on cherche des billets de banque ou de la philosophie, on aura des billets de banque ou de la philosophie, et c'est tout. Mais si l'on a réellement besoin d'Être, au milieu de cette marée gluante de conscience obscurcie, alors, quelque chose s'allume dedans, et ça, c'est le Chemin.
J.B. : On comprend assez mal pourquoi Shri Aurobindo a considéré qu'il était bon qu'il se « retire » pour accélérer ce qu'il nomme l' « évolution nouvelle ». On pense au Christ disant : « Il est bon que je M'en aille... »
S. : Ce n'est pas exactement cela. Shri Aurobindo s'est retiré parce qu'il était physiquement tellement... envahi... Son travail véritable était constamment entravé par les mille et une choses de la vie quotidienne des disciples. Il a senti qu'il ferait davantage de travail en se retirant. Il ne s'agit pas de faire une nouvelle espèce tout seul dans sa chambre, n'est-ce pas... À quoi ça sert s'il n'y a personne pour suivre, c'est-à-dire pour accepter le processus de purification et de transformation ? Et il n'y a pas beaucoup de gens prêts à accepter.
J.B. : Peut-on dire de cette « évolution nouvelle » qu'elle corres­pond, dans un langage moderne, adapté aux hommes d'aujourd'hui, à ce que l'Inde ancienne disait du Satya-Yuga, de l'Âge de Vérité, devant succéder à l'actuel Kali-Yuga, l'Age des Conflits ?
S. : D'une certaine façon, oui. L'humanité actuelle est manifeste­ment au bout d'un cycle, et le bout signifie le début d'autre chose. Mais dans la tradition hindoue, le Kali-Yuga s'achève sur une cata­strophe cosmique, et tout repart de zéro.
J.B. : Ne croyez-vous pas que le pralaya peut figurer sous la forme d'une guerre thermonucléaire, par exemple?
S. - Je ne suis pas prophète, mais je ne le crois pas. La puissance de destruction est toujours là, partout autour de nous ; mais il existe égale­ment une formidable puissance de construction. Mère et Shri Auro­bindo ne croient pas à la destruction, mais à la transformation. La des­truction, c'est simplement la démolition des vieilles structures pour que quelque chose d'autre puisse apparaître. Tout va dans le sens de l'évo­lution, rien n'est contre. Mais nous nous tromperions si nous pensions que le but de tout cela est un super-collectivisme meilleur, une super-religion meilleure, un super-humanisme meilleur.
J.B. : C'est ce que pensait Teilhard de Chardin.
S. : L'évolution, c'est l'évolution de la matière et de la conscience dans la matière. Erreur de croire que l'homme est le suprême échelon de l'évolution...
J.B. : Pourtant, l'idée d'évolution est controversée par un certain nombre de savants.
S. : Les controverses du têtard n'ont pas empêché la grenouille d'apparaître... Nous pouvons pousser tous les cris d'homme que nous voulons, cela n'empêchera pas la Nature de nous faire devenir autre chose, de donner la réponse. Elle est d'ailleurs en train de la donner d'une façon retentissante... Si un anthropoïde avait pu avoir une dis­cussion avec un pionnier de l'espèce humaine lui disant qu'il pouvait y voir autre chose que sa façon de faire des galipettes dans les arbres, l'anthropoïde lui aurait ri au nez. Tant pis pour lui ! Si les gens ne veulent pas comprendre, tant pis pour eux ! ça n'empêche pas les choses de se faire. On en a fini avec les philosophies. On a besoin de quelque chose de plus simplement réel, de quelque chose qui tienne. Il y a autre chose que l'homme que nous voyons, autre chose qui n'est pas pour dans des millénaires, qui est en train de se fabriquer, que nous le voulions ou non. Ce serait mieux si nous le comprenions.
J.B. : Shri Aurobindo parle du danger pour notre humanité d'être supplantée par une autre race, si l'homme actuel ne faisait pas le travail qui lui est demandé.
S. : Il le fera. Malgré tout... Tout ce qui ne va pas dans le sens évolu­tif se détruit lui-même toujours. Ceux qui n'ont d'autre but que la consommation et la matérialité descendante s'étranglent eux-mêmes, c'est tout; ils se détruisent. Il n'y a pas besoin de rétribution collec­tive ; la loi est automatique.
J.B. : Peut-on établir un parallélisme entre ce que Shri Aurobindo appelle le Supramental et ce que la tradition chrétienne appelle le Saint Esprit?
S. : Mais d'abord, qu'est-ce que ce Saint Esprit? Tout ça se situe dans des nuages dorés, qui peuvent momentanément aider les hommes à progresser. Le Supramental, c'est la conscience qui est au coeur de la matière.
J.B. : On ne peut s'empêcher ici de penser à l'Évangile de Jean :
« La Lumière était dans les ténèbres », et de rapprocher ce verset du « puits de miel sous le roc », dont parle le Rig-Véda.
S. : On peut certainement dire cela.
J.B. : Et la Jérusalem céleste survenant à la fin du cycle? L'Apoca­lypse parle à ce propos de « cieux nouveaux », et aussi d'une « terre nouvelle »... On ne peut s'empêcher de mettre en regard ce verset, qui, en l'occurrence, n'a rien d'hétérodoxe, de l'Évangile de Thomas : «Le Royaume est en vous, et il est hors de vous. » De même, le Bhâgavata ­Purâna déclare : «Le Purusha, tel l'éther, réside à l'intérieur et à l'extérieur des êtres. »
S. : De tout temps et partout, des visionnaires ont pressenti et vu là-bas, au loin, des réalités de ce genre. Les rishi védiques aussi... C'est ce qui est en train de se préparer, une « terre nouvelle ». Mais pour qu'une terre nouvelle se fasse, il faut évidemment que la vieille terre change de peau. Nous assistons à cette mue.
J.B. : Dans quelle mesure peut-on aider les autres à cette trans­formation, s'ils le veulent ?
S. : Dans la mesure où l'on est soi-même. La seule façon d'aider les autres, c'est d'être soi-même quelque chose.
J.B. : Je suis assez surpris des hommages qu'on rend en Inde à la France. Ce pays semble tellement à l'opposé de la mentalité méta­physique ! Shri Aurobindo disait, peut-être en plaisantant, qu'il avait été français dans une existence antérieure.
S. : La France a toujours eu un esprit ouvert. Je ne dis pas ce qu'elle est maintenant, je dis ce qu'elle est dans son essence... La France est un pays généreux, un pays qui a semé beaucoup de grandes idées, qui est capable de révolutions essentielles ; très apte, en tout cas mentalement, à saisir le futur. Si la France comprenait ce sens de l'espèce nouvelle, elle pourrait faire beaucoup, au lieu de se perdre et de s'épuiser en de vaines controverses entre droite et gauche, philosophie de ceci et reli­gion de cela; si elle pouvait attraper le problème dans sa pure simpli­cité évolutive, voir qu'une prochaine espèce arrive, et commençait à se demander quel est le moyen, l'instrument de transition, qu'est-ce qu'on pourrait développer en l'homme, qui l'aide à faire cette transition.
J.B. : Aujourd'hui, les hommes politiques sont à peu près les seuls à détenir le pouvoir; tout passe par eux. Or, ils semblent bien peu inté­ressés, c'est le moins qu'on puisse dire, par cette question.
S. : Apparemment, ça a l'air d'être ainsi... 
Mais « politique », c'est encore un adjectif... Enlevez-leur la politique, ils restent des hommes comme partout – ou des absences d'hommes.
J.B. : Est-ce que, selon vous, la « pensée » d'Aurobindo se répand ailleurs qu'en Europe occidentale, par exemple, dans les pays de l'Est?
S. : Ce n'est pas une pensée, mais un phénomène. Oui, bien sûr, on a des preuves qu'il se répand dans les pays de l'Est et qu'il a des possibi­lités d'y voir le jour..., un jour ! Tout est en train de se démolir !... Vous pouvez aussi bien prendre l'expérience capitaliste que l'expérience marxiste ou post-marxiste, ou n'importe quelle autre, tout ça est en plein chaos et en pleine gestation.
J.B. : C'est même un extraordinaire spectacle, pour peu qu'on soit assez lucide. Mais en tant qu'acteurs, que faire personnellement, selon vous, pour atteindre le centre même ?
S. : Ça se cultive à chaque instant, n'est-ce pas... Quand on S'asphyxie, on cherche de l'air. Si la vie que vous menez, telle que vous la menez, vous semble respirable, plus ou moins agréable, il n'y a rien de spécial à faire. Mais si vous la trouvez asphyxiante, alors, vous commencez à chercher le moyen de respirer. Shri Aurobindo a passé quarante ans de sa vie à nous dire ce que nous devons faire, et com­ment procéder. Il a écrit des milliers de lettres sur la question !
J.B. : Il est certain qu'un peu partout, on cherche à voir clair dans une obscurité croissante.
S. : Dans un bocal bourbeux, on ne peut rien voir. Il faut clarifier le milieu. Comprendre le sens, telle est la première opération. Tant qu'on est embrouillé dans ses idées, dans ses sentiments, dans ses concep­tions, dans ses idéaux, dans tout l'embrouillement collectif, on ne peut pas voir clair.
J.B. : Le rôle de la psychologie, celle de Jung en particulier, qui s'est intéressé simultanément à l'alchimie et au taoïsme, se développe en Occident. Jung aussi parle de cette descente dans la matière.
S. : Ce sont des approches... Je ne les connais pas. Généralement, la psychanalyse est assez obscure. Plus on descend dans les abîmes, plus il faut une puissante lumière... Le feu du besoin est la seule force, le seul phare qui transperce les ténèbres. Ce qui est là à chaque minute, en dessous de ces philosophies, de ces politiques, de ces psychologies, ce qui vit en vous, quand vous montez un escalier, quand vous écrivez un poème, quand vous parlez ou ne parlez pas... C'est ça, le Chemin, c'est d'ÊTRE. Pas seulement être en méditation, les jambes croisées dans sa chambre, mais ÊTRE à chaque minute : une intensité de besoin, quelque chose qui ne se formule pas, mais qui est comme une base, un roc secret sur lequel on repose.
J.B. : Disons une pierre philosophale... Vous pensez qu'il ne fait aucun doute que Mère sera toujours vivante ?
S. : Certainement... Que savons-nous de la matière ? Presque rien. Nos organes des sens sont faux, nous vivons dans une formidable illu­sion... Que voyons-nous? À peine si une petite gamme de visibilité nous est ouverte,'une petite gamme de sons accessible. Nous sommes des sortes de chenilles en train de devenir papillons. La vision de la chenille n'est pas une vision totale et définitive. Dans telle autre vision, il est possible de voir mieux et autrement.
J.B. : Que faut-il entendre par cette usure de l'énergie, de la shakti intercellulaire, cause finale des maladies et de la mort ?
S. : Parce que nous sommes encroûtés, le courant ne passe pas. Tout notre corps est enfermé dans une espèce de prison faite de lois, d'habi­tudes implacables qui se sont emparées de nous dès notre naissance. Le courant circule un peu dans les premières années de notre jeunesse; puis, très vite, toutes sortes de lois médicales, physiques, philo­sophiques, mentales, produisent l'encroûtement : on se sclérose de plus en plus et l'on meurt. Si l'on nous laissait immortellement dans notre peau tels que nous sommes, nous continuerions à faire davantage de bébés, à avoir davantage de voitures, davantage de maisons secondaires, à développer encore notre consommation, et c'est tout. La Mère Nature est suffisamment sage pour casser cette petite forme ridi­cule, afin de nous diriger vers une autre forme, plus souple. Quand le courant circule librement, il n'y a plus de mort. Mais, pour cela, il faut parvenir à cette conscience cellulaire dégagée de toutes ces croûtes... En fait, il n'y a pas de mort, il y a un formidable courant qui circule partout, à travers tout. Quand il ne peut plus circuler à travers une forme, il se détourne, la forme meurt.
J.B. : Le fait que Mère et Shri Aurobindo se soient « retirés » ne prouve pas qu'ils soient morts. Prouve-t-il qu'eux-mêmes ne sont pas arrivés à la solution du problème ?...
S. : L'évolution n'est pas une chose individuelle, c'est une chose totale. Ce qu'ils voulaient, ce qu'ils veulent, c'est que toute l'espèce découvre sa vraie nature, qui est immortelle. Pas de miracle, qui nous esbroufe une heure ou deux, pas les feux d'artifice du surnaturel !... Le Réel doit se produire par la totalité de l'espèce, et non par quelques individus éblouissants qui laissent les autres tels qu'ils sont.
J.B. : Que l'expérience ait été interrompue – not ready – ne prouve pas que ce soit un échec ?
S.: Où est l'échec? Il n'y a jamais eu d'échec. L'évolution avance toujours, par le bien, par le mal, par le oui, par le non, de toutes les façons possibles. L'échec, il est dans notre esprit.
J.B. : Je sais qu'en 1944 Shri Aurobindo souhaitait avoir deux cent cinquante lecteurs français pour sa revue, L'Arya; aujourd'hui, il en a beaucoup plus ; mais cela ne veut pas dire que ces lecteurs soient des « êtres gnostiques » ! ...
S. : L'être gnostique, nous le fabriquerons doucement, douloureuse­ment, à travers l'aberration de notre conscience mentale. Mais tant qu'on n'est pas arrivé au bout des vieux moyens, le nouveau moyen ne peut pas sortir, il est bloqué. Jusqu'à ce que nous ayons cessé de croire en nos équations, en nos machines, en nos brillantes intelligences ; ou jusqu'à ce que la Nature en ait assez, et donne un petit coup pour arrê­ter cette prétentieuse mécanique. Eh bien ! on peut collaborer, agir avec compréhension. On est en train d'étouffer les hommes justement pour les décider à ouvrir une lucarne dans la forteresse.
J.B. : Mère et Shri Aurobindo prévoyaient au moins trois siècles avant l'avènement de la nouvelle conscience ?
S. : L'espèce nouvelle n'apparaîtra pas tout d'un coup... Il s'agit d'une perception nouvelle, d'une conscience qui transformera sa matière. Il faut faire le premier pas... On ne va pas faire un autre homme avec la conscience d'un métaphysicien mental de notre vieille espèce.
J.B. : Ne croyez-vous pas que les premiers êtres gnostiques risque­raient fort d'être purement et simplement supprimés par la masse des individus, par les puissances en place qui craindraient d'être dépas­sées ?
S. : Il y a toujours cet antagonisme entre une certaine lumière et une certaine obscurité. Mais c'est toute l'espèce qui deviendra la nouvelle espèce. Ceux qui ne veulent pas suivre le courant se détruisent eux-mêmes. Tout ce qui aspire, tout ce qui tend vers, tout ce qui est en mouvement va vers cela... « Toutes les difficultés sont des grâces », disait Mère. Il faut prendre les obstacles d'une façon positive. Si on les prend d'une façon négative en disant : « Oh ! comme c'est difficile !... Oh ! comme ils sont méchants », etc., on pousse beaucoup de « oh ! » et l'on n'arrive à rien. Mais si l'on dit : « Tiens ! ça, c'est un défi pour que j'aie la force suffisante de faire un pas de plus », alors, l'obstacle se défonce. En ce moment, nous avons l'obstacle d'une civilisation folle qui nous étrangle. On peut passer son temps à le déplorer, mais on peut dire aussi : «Il faut puiser dans cette aberration même le pouvoir d'aller plus loin... » Tous les obstacles sont des leviers.
J.B. : N'en arrive-t-on pas à dire : « Bienheureuse souffrance » ?
S. : La souffrance est un état de mensonge. Quand on est vraiment, il n'y a pas de souffrance. La souffrance est un moyen pour nous obliger à devenir autre chose. Sinon, nous resterions irrémédiablement encroû­tés dans notre petit bonheur d'hominien.
J.B. : Et la réduction de l'ego, en attendant sa suppression?
S. : Je ne comprends jamais les problèmes d'une façon négative. Ce n'est pas en luttant contre l'ego, en luttant contre ceci ou cela, qu'on résout les problèmes ; c'est en développant le côté positif en soi-même. Cela dissout l'ego, dissout les obstacles; ça fait le travail tout seul. Avec quoi voulez-vous empoigner l'ego, sinon avec l'ego?...
J.B. : La réduction de l'ego n'est donc qu'une conséquence?
S.: Plus vous développez ce qui est vraiment vous-même, plus la lumière se fera et le chemin s'ouvrira... Tout est bien simple, au fond. Il faut toujours aller à la simplicité des choses. La vérité est simple.
J.B.: Et Auroville, dans tout cela? On n'en voit guère le déve­loppement ?
S. : Auroville est un essai, un laboratoire où l'on tente consciemment de trouver le passage pour une nouvelle espèce. Il y a là un noyau d'êtres qui, autant que je sache, essaient sincèrement de comprendre et de vivre le chemin de Mère et de Shri Aurobindo. Ils ont beaucoup de difficultés, bien sûr, de ces difficultés qui les aident à croître. Il ne s'agit pas de bâtir une ville, il s'agit de bâtir des hommes, ce quelque chose qui fera de nous des êtres réellement pleins.
J.B. : Une dernière question. Vous êtes arrivé à Pondichéry en 1946. Quelle impression vous a fait alors Shri Aurobindo ?
S. : Il y a des regards qui vous changent pour toujours... Il y a des regards qui ouvrent les portes...

Satprem, la grande saga du yogi (article parût dans nouvelles clefs)

par Nicole Elfi

Récit feuilleton d’une vie hors du commun qui, partie de la résistance aux nazis, se prolonge dans diverses aventures avant de trouver son idéal auprès du yogi Sri Aurobindo et de sa compagne, débouchant sur un troublant “Yoga des cellules”, qui annoncerait l’avenir de l’évolution humaine. NOUVELLES CLÉS -ITINÉRAIRE-  


Satprem, la grande saga du yogi

par Nicole Elfi
Récit feuilleton d’une vie hors du commun qui, partie de la résistance aux nazis, se prolonge dans diverses aventures avant de trouver son idéal auprès du yogi Sri Aurobindo et de sa compagne, débouchant sur un troublant “Yoga des cellules”, qui annoncerait l’avenir de l’évolution humaine.


Satprem, Breton et amoureux de la mer, l’infini reflété dans le regard, a entrepris depuis son jeune âge un voyage à travers l’humanité.
Aventurier à l’extrême, intrépide et sauvage, il a rué dans toutes les directions, tout tenté afin de voir révéler l’essence des choses, expérimenté avec une soif incessante du vrai. Qu’est-ce qui est vraiment ?
Un père alsacien, ingénieur chimiste ardent catholique, une mère bretonne et solide - “ma vraie mère” -, des pensionnats rigoureux où l’on avance en petits escadrons et uniformes, sept frères et sœurs, et puis, des échappées de joie libre au grand large, ou à courir dans la lande au parfum d’œillets sauvages : tel est le cadre de ses premières années. Mais la mer surtout, dont le “clapotement sur les bordées du bateau”, ou le ressac, restera en écho de son souffle. “Je suis marin”, vous dira-t-il un demi-siècle après n’avoir plus navigué. Marin - et nul -, voilà toute l’identité qu’il aime à reconnaître. Ses affinités d’adolescent vont vers Voltaire, Rimbaud, et toute la littérature russe, André Gide qu’il considère comme son maître, rejetant de toute la ferveur de sa jeune vie les "nourritures spirituelles” que lui impose son père. Mais Gide lui-même n’a pas de vraie solution aux “horizons de suicide” de la jeunesse.
Et Beethoven était son Dieu. “Ah ! si j’étais musicien... Si je pouvais faire de la musique !...” dira-t-il encore aujourd’hui. Les notes l’amènent à la Source de la musique, la musique est un baume pour l’âme et le corps dans des conditions quelquefois difficiles.
“Plus tard, je serai écrivain !” déclare-il pourtant un jour à la sortie du Lycée Buffon à Paris. Oui, écrivain, “Breton et marin”, quoique la maison familiale d’hiver soit à Paris ou dans la région parisienne. Seulement la vie, le vrai lieu, c’est la Baie de Quiberon, avec ses envolées de mouettes et ses lumières miroitantes ; avec ses sables vierges au petit matin d’été où s’apprêtent de longues journées de liberté totale et d’aventures passionnantes !
1942 : à dix-huit ans il entrait dans la Résistance. La Gestapo l’arrête à vingt ans tout juste pour l’envoyer en camps de concentration pendant un an et demi - assez pour n’être plus ni jeune ni homme mais pour percevoir “ce qui bat dans un homme quand il n’y a plus rien”. Quand un Destin vous tire d’une telle expérience, elle reste en filigrane de toute la vie. Le regard d’un tel homme, son approche aux questions humaines de société, de vie, de carrière, ne sont plus du tout les mêmes.
Quelques mois seulement après la sortie des camps, le temps de se rétablir d’un typhus et de faire une brève tentative à l’École Coloniale, Satprem s’envole pour l’Inde, via l’Égypte. Là, il est frappé de stupeur, seul devant ce Sphinx "comme un enfant amnésique avec son trou de douleur... et puis “ça” qui le regardait comme du fond de l’éternité, comme la mer qui aurait un regard ”. Il reste un mois et demi “ dans un état d’émotion incompréhensible, buvant ce monde plein - c’était vide, c’étaient des sables, des ruines, et c’était plein à craquer...”
Puis l’Inde. Son cousin François Baron était Gouverneur des Indes françaises à Pondichéry et lui offrit un poste de secrétaire privé. Le jeune homme à peine sorti des camps de concentration ne rêvait que de partir et sauta sur l’occasion. Arrivé là, il entendit parler d’un “sage”, ancien révolutionnaire poursuivi par les Anglais, qui vivait dans la ville. C’était Sri Aurobindo, qui était là avec “Mère”, sa compagne. Pour celui qui ne s’appelait pas encore Satprem, ce fut comme un port d’attache inespéré. Satprem ne savait rien des “sagesses de l’Asie”... Le 24 avril 1946, il rencontre Sri Aurobindo : “On disait que c’était un sage... et Mère à son côté. Une chambre presque solidement silencieuse... Lui, presque écrasé de puissance immobile. Il m’a regardé. C’était si vaste, oh ! plus vaste que tous les sables d’Égypte, plus doux que toutes les mers. Et tout a culbuté dans... je ne sais quoi. Puis Mère, assise à sa droite, qui m’a fait un si grand sourire comme si elle me disait : aah !...”
Un regard qui bouleverse la vie à jamais.
Dès que son contrat au poste de secrétaire du Gouverneur de Pondichéry se termine, Satprem repart pourtant, avec sa soif insatiable d’expérimenter, se “faire réagir”, comme l’alchimiste en quête de l’or de la vie.
Il s’essaie à l’archéologie en Afghanistan, sera chercheur d’or en Guyane, court les routes du Brésil, vend des dictionnaires Larousse dans les villages africains. D’aventure en aventure, il refuse également de s’installer dans l’aventure. Ses amis ont décidément quelque mal à comprendre la profonde authenticité de cette quête qui est pourtant “toujours la même”, leur assure-t-il, lorsque plus tard il entreprend l’aventure intérieure et revient, après quatre ans de route, auprès de Mère, en Inde. Il repartira cependant sur les routes, mais exclusivement en Inde : il vit dans les temples, devient moine mendiant - sannyasin - et suit une initiation tantrique. Beaucoup d’événements et d’expériences intenses, de lieux enchanteurs, dont on a le témoignage décrit à ses amis ou à sa douce compagne indienne, Sujata, ou à sa mère, à qui il voue une tendre affection.
Mais depuis 1954, il a surtout retrouvé Mère, “l’Ancienne de l’Évolution”, qui jour après jour et l’air de rien, avec beaucoup de compassion et de sourire, le fait témoin et confident d’une expérience très particulière, une exploration dans le demain de l’homme, dans le sillon creusé par Sri Aurobindo. À mesure que Satprem s’unifie à l’Œuvre de transformation de la nature humaine, Mère l’emmène doucement au coeur du sujet, de ce labeur d’enfantement d’un monde nouveau.

Le Grand Jeu

L’Auroville d’alors n’est qu’un plateau de latérite au Sud de l’Inde. À deux pas de la mer sur la côte Coromandel. Avec une poignée d’Européens, Américains, quelques Indiens sur ces collines rouges et nues. Ils habitent quelques huttes provisoires - bien agréables au demeurant, murs très bas et panneaux de contreplaqué amovibles afin de laisser passer un maximum d’air dans cette fournaise du Tamil Nadu ! Pas encore d’organisation indépendante : Mère, à l’Ashram de Pondichéry (situé à une douzaine de kilomètres d’Auroville) est le lien intérieur et le support matériel.
Plus tard la vision d’Aurobindo s’accomplira plus avant. Des poignées de terre venues de cent vingt-quatre pays seront déposées dans une urne au centre de la future ville lors de l’inauguration, le 29 février 1968. Et Mère lira la Charte, assise sur un haut tabouret dans sa chambre, Satprem à son côté. “Auroville n’appartient à personne en particulier, mais à toute l’humanité dans son ensemble...” Depuis le début de l’aventure, Satprem rencontre beaucoup de jeunes qui viennent là, attirés par l’espoir d’une autre vie et d’autres conditions humaines : pas de frontières, pas d’argent, pas de police, pas de religions - un sens du sacré sans solennité. Lui-même habite Chinna Mudaliar Chavadi, un village en bordure de Pondichéry. Le soir, sur sa terrasse, il se tourne dans la direction d’Auroville et sent comme un espoir en ces quelques hommes “qui accepteraient de faire l’expérience de la nouvelle Conscience dans leur corps et dans leur vie - cette conscience de l’unité matérielle du corps terrestre. Comment cela peut-il s’incarner dans une vie collective ?” Comment Satprem va-t-il vivre aux côtés de Mère ? Comme l’oiseau migrateur qui a besoin de son envol mais revient toujours au pays. Sauf dans les quelques dernières années, où il sera emporté et absorbé dans l’expérience de son aînée : il ne songera alors plus du tout à bouger. Il l’écoutera, posant des questions ou la laissant à ce qu’elle aura à dire, ou à ne pas dire. Il restera ainsi dix-neuf ans auprès d’elle, de 1954 à 73, lorsque Mère quittera son corps.
Dans son film-interview “L’homme après l’homme”, il partage ses visions fiévreuses et fulgurantes - celle notamment où il explique que le “supramental” nous est aussi inconcevable de l’homme le fut à son ancêtre singe, ou que la vie “adulte” l’est au fœtus qui, se sentant poussé vers la sortie, s’imagine qu’il va mourir. Il venait juste de compléter l’édition et la publication des treize tomes de l’Agenda de Mère. Cet interview était son cadeau au monde avant de tourner une nouvelle page de vie. Pourquoi décide-t-il de se retirer du monde ? Il répond lui-même à cette question : “Toujours, dans cette exis­tence humaine l’habitude a voulu que les disciples - qu’ils soient de Rembrandt, du Christ ou de Monsieur Jung - prennent le manteau du Maître et fassent leur petite, ou leur grande affaire de celui qui a jeté la graine nouvelle - heureux s’ils n’en font pas une Église. Le Maître a parlé et puis on va dévider la même bobine, quelques échelons plus bas, à la dimension populaire, devant les divers micros et caméras du monde. On écrit des livres, on fait des conférences, on vous décerne des prix et on finit dans le diction­naire Larousse - mais le corps, lui, va au cimetière, comme tous les autres.
"Il s’agit de la faire, cette évolution, et d’incarner un peu”.
Satprem a toujours refusé le rôle du gourou. Ce qui n’aurait pas manqué d’arriver s’il était resté un personnage public. Mère était le gourou et le guide : ses bras étaient ouverts à tous et à chacun, nuit et jour. Elle acceptait tout, prenait tout, comme le Divin porte tout - ou est tout. Satprem n’aurait jamais pu ni voulu faire un tel travail. Il voulait tenter de réaliser l’expérience :
“Mère et Sri Aurobindo m’ont obligé à survivre et à trouver le Lieu de l’Avenir qui ne serait plus du vieil “humain amélioré”. Extraire cette fois-ci, et une fois pour toutes, le Feu puissant, le sublime Pouvoir au fond des cellules du corps qui pourrait tout changer, ce formidable tremblement de terre qui pourrait re-créer une Terre nouvelle et faire crier un Oui pour toujours au fond de la vieille désespérance.”
Et puis il est à la recherche - et se retrouve dans un état qui ne permet guère les contacts. Dépouillé de l’épaisseur obscure qui nous sert de protection, en quelque sorte, un peu “comme un scaphandrier sans scaphandre”, dit-il.
Sur les pas de Sri Aurobindo et de Mère, il découvre à son tour la véracité des révélations védiques. “Va où nul n’est allé... Creuse plus profond, plus dedans encore, jusqu’à l’inexorable pierre au fond et frappe à la porte sans clef ”, dit un poème de Sri Aurobindo.

L’ermite

Concrètement, Satprem et Sujata sa compagne commencent par partir en quête d’une île tranquille, sorte d’ancien rêve de Satprem, “l’Île de Mère” peut-être. Mais plus une seule île n’est vierge ! Ni vierge ni pleine de ce qui remplit. D’où leur retour en Inde...
Un certain nombre d’êtres ressentent l’Inde comme une mère, avec ses milliers d’années de Yoga, de connaissance et de sagesse qui vous portent. C’est dans l’air encore aujourd’hui - en dépit de la pollution du moindre village ! C’est aussi dans la substance de sa population, chez les gens simples de tous les milieux. Retiré, Satprem écrit beaucoup, avec ce don particulier de tirer des mondes sous sa plume, et un certain pouvoir de vous emmener dans l’expérience. Pourquoi tous ces livres ces dernières années ?
Il voudrait “donner”. Il essaie de transmettre un peu de ce qu’il vit, de toutes les façons il essaie. “Car Ils m’ont tout donné. Ils m’ont donné l’Amour qui sauve.” Une vie de Satprem, c’est l’intensité de plusieurs destins qui pressent en un être. La richesse de plusieurs vies en une, et un kaléidoscope de facettes. Mais aussi, une vraie bataille tout du long pour déraciner la douleur et l’immense chagrin enregistré dans la substance humaine - à commencer par son propre “terrain” : “Je suis un lutteur d’un monde à naître, d’un vieux monde à déraciner et d’un nouveau à créer dans sa propre chair”.
C’est la tâche à laquelle il se consacre aujourd’hui et depuis presque dix-huit ans. Il apprend à vivre dans un trop plein d’une puissance phénoménale, “à écraser un éléphant”, disait Mère ! - mais qui ne pèse pourtant pas un gramme sur la balance. “Un monde inconnu”, incompréhensible. Mais “comme si toute la Matière était faite de Splendeur, recouverte seulement d’une croûte d’illusion douloureuse et mortelle.”
S’il n’existe pas de méthode de ce yoga particulier, c’est que chaque individu a son chemin et doit faire ses découvertes. C’est que Mère et Sri Aurobindo prenaient toujours grandes précautions de ne rien “fixer” qui puisse être établi en dogme. “Ceci est bon, ceci est mauvais”, etc. Non, ce qui est bon pour l’un peut ne pas aider au progrès de l’autre. “Il faut marcher et la piste se dessine sous les pas”, dit-il.
À part cela, depuis “Sri Aurobindo ou l’Aventure de la Conscience”, jusqu’au “Mental des Cellules” en passant par la “Trilogie” de Satprem sur Mère où se trouve ramassée l’essence de l’Agenda de Mère, le tout abonde de méthodes, et surtout de clés !
Ses Carnets d’une Apocalypse révèlent l’expérience jour après jour, qu’il a pris la peine de noter on ne sait comment ! “Le corps se laisse complètement faire comme une algue dans le courant. Mais c’est un courant formidablement dense et irrésistible... Cela a l’air tout à fait mécanique. Le phénomène se déroule indéfiniment, comme la houle de l’océan.” En bon marin qu’il est, les vagues” continuent. Vagues ondulantes qu’il perçoit bleu saphir, et impératives : “Des masses denses, brûlantes, qui montent, vague après vague, depuis le bout des pieds jusqu’en haut, puis traversent le cerveau comme une impossible marée, pourtant possible...” Debout il tangue, le Marin, “comme un bateau qui est plein”, disaient les Rishis védiques il y a... cinq ou sept mille ans en Inde. Son centre de gravité semble un peu répandu et... dansant ! Jour après jour et depuis toutes ces années, il atteste, comme avant lui le grand Sri Aurobindo l’avait constaté, la véracité et la profondeur des litanies du Rig-Véda : que les Rishis n’exprimaient pas de futiles fantaisies ni ne se bornaient à la simple vénération de la nature, mais plutôt transcrivaient avec précision d’extraordinaires expériences intérieures, jusque dans leur propre matière physique. Leur langage portait double sens pour être reconnu de celui qui vivait l’expérience, tout en étant compris au premier degré par le regard ordinaire. Une étrange “impossibilité physiologique vécue”. “Tout cela n’est certainement pas pour un petit individu”, remarque souvent Satprem, cela n’aurait pas de sens. Son aspiration est pour la Terre. Et à découvrir, si bon nous semble !